Le col Agnel

Un tel programme (col Agnel par ses deux versants, soit 130km et 3200m de dénivelée) demande un minimum de préparation. Pour ne pas perdre de temps le lendemain au réveil, nous préparons un maximum de choses la veille au soir. Nos poches sont gonflées de victuailles en prévision des 7 à 8 heures de selle qui nous attendent. C’est incroyable ce que peuvent contenir les poches des maillots de l’ATSCAF : 4 sachets de boisson énergétique, 1 téléphone portable, 3 tubes de gel énergétique, 1 coupe-vent GoreTex, 4 tranches de pain d’épices, 2 pates de fruit, 1 barre énergétique, 1 tube de crème de marron, 1 tube de pastilles de dextrose et 1 tube de comprimés pour boisson énergétique. Voilà de quoi tenir un siège, mais nous préférons être prudent et prévoir suffisamment.

Le lendemain matin, nous voilà parti. Nous quittons Guillestre par la combe du Queyras et les gorges du Guil. Une route que de nombreux ATSCAFiens connaissent maintenant. Nous roulons tranquillement, d’autant plus que le vent ne s’avère pas franchement favorable. Finalement, après avoir dépassés un certain nombre de cyclos éparpillés sur cette route, nous en rejoignons deux qui roulent à notre rythme. Nous nous relayons ce qui permet à tout le monde de profiter d’un minimum d’abri face au vent.

Au début je les prends pour des italiens, l’un deux porte le maillot de l’équipe italienne de cyclisme. En fait, ce sont des français. Ils sont parti faire l’Izoard et je leur fait part de mes impressions sur cette ascension difficile. Nous passons avec eux le monument de l’Ange Gardien et les premières rampes avant de nous souhaiter mutuellement bon courage au pied de nos cols respectifs.

Nous voilà devant Château-Queyras et son château. La route n’est pas en très bon état et nous décidons de la quitter pour suivre les conseils du patron du gite de Terre Rouge. A l’entrée du village, nous bifurquons à droite en direction du sommet Bucher, avant de laisser cette route à notre droite. Cette route évite le village et offre un magnifique point de vue sur le château. Nous rejoignons la route « normale » dès la sortie de Château-Queyras.

Il suffit de quelques instants pour rejoindre Ville-Vieille, car la route est quasiment plate depuis le franchissement du monument de l’Ange Gardien. Depuis le départ, nous nous sommes élevé de seulement 350m en 21km. A Ville-Vieille, nous bifurquons à droite pour franchir le Guil. C’est ici que commence la véritable montée. Nous nous élevons rapidement dans la vallée de l’Aigue Blanche. La vallée est assez étroite et encaissée, nous profitons du peu d’ombre que la route peut nous offrir. Sur le versant opposé, nous admirons une demoiselle coiffée. Rapidement, la vallée s’élargit et nous voilà au milieu des alpages. Si la vallée s’élargit, ce n’est pas pour autant que la pente faiblit. Exception faite d’une portion descendante en très mauvais état lors de la traversée de Molines en Queyras.

Là, nous suivons la direction de l’Italie, car le col n’est pas indiqué, et laissons la route de Saint-Véran à notre droite. Nous poursuivons la montée dans les alpages et traversons Pierre-Grosse, qui marque un premier répit dans la pente. Je me surprends même à devoir remettre du braquet, ce qui est généralement contraire aux préceptes cyclotouristes que m’a inculqué mon père. Je n’ai cependant pas de regrets car la pente se radoucit encore après Fontgilarde, et le 30*23 n’était pas un braquet adapté.

C’est à hauteur de Pierre-Grosse que nous rattrapons un autre cyclo, lyonnais (de Chassieu) lui aussi. C’est lui qui nous apprend que les cyclos dépassés dans la traversée de la combe du Queyras se rendent à Saint-Véran. Nous discutons avec lui jusqu’à Fontgilarde. Il nous confesse avoir déjà tenté l’Agnel des deux côtés et que c’est très dur, ce dont je me suis convaincu à la seule consultation des profils.

Après Fontgilarde, nous profitons du répit qui nous est offert. Le paysage est magnifique, nous remontons la vallée de l’Aigue Agnelle au milieu des alpages. Sur notre gauche, pendant quelques hectomètres, des vaches paissent tranquillement et regardent passer les cyclistes (peu nombreux), les motards (nombreux) et les automobilistes (trop nombreux).

Depuis quelques kilomètres maintenant, nous apercevons le sommet droit devat nous, avec à sa gauche le Pain de Sucre et ses 3208m. Nous passons le rocher d’Hannibal, orné d’une plaque à la mémoire du promoteur de la route du col Agnel et les choses sérieuses commencent. Il nous reste 7km à parcourir, les 2 suivants seront durs, mais ce ne sont pas les pires.

C’est à 5km du haut que le véritable calvaire commence. La route fait une grande épingle à gauche et se dresse devant nous telle un mur. A l’extérieur du virage, un cycliste est étendu dans l’herbe, les bras en croix et récupère de ses efforts. J’encourage Rodolphe pour les quelques kilomètres qui viennent et qui sont difficiles, c’est indiscutable. La pente varie, mais la moyenne est autour de 9%, l’équivalent du Granon, mais avec déjà 40km dans les jambes et à une altitude supérieure.

La fin se fait à l’énergie. Les kilomètres étant marqués sur la route, on les comptes, puis les 1/2km, puis les hectomètres, et même les décamètres pendant quelques instants pour rigoler. Le sommet est là, devant nous. Le replat du refuge Napoléon nous redonne les dernières forces nécessaires au franchissement des 2km restants. 2 épingles, puis 1, nous ne sommes plus dans les alpages mais dans la caillasse. Et le col est à nous. La satisfaction est là, la fatigue également, après 3h26 et 44,7km d’efforts. Rodolphe et moi avons été passablement éprouvés par cette montée, mais le panorama sur le Mont Viso nous récompense.

Nous contemplons la route qui redescend côté italien et que nous avons prévu de gravir. Le doute est là, allons basculer côté italien ? La réponse de Rodolphe sera non. Il se plaint d’un genou, il reste 1 semaine de vélo à tenir et préfère être prudent. Ma réponse tombe quelques instants plus tard, ce sera non également. Même si j’ai monté tranquillement, mes jambes ne sont pas bonnes depuis le Granon, et je ne me sens pas le courage d’affronter une deuxième ascension aussi rude (voir plus) que celle que je viens d’accomplir. Sans regrets – nous avons quand même gravi ce col – nous redescendons sur Guillestre.

Si les premiers km de la descente sont plaisants avec des virages bien dessinés et une route en bon état, la suite s’avère plus fastidieuse. La route secoue beaucoup et nous descendons très prudemment pour ne pas nous faire surprendre par une mauvaise bosse.

Il faut attendre de passer Château-Queyras pour retrouver une chaussée plus correcte. Peu après notre passage au monument de l’Ange Gardien, 2 cyclos nous dépassent en trombe alors que nous descendions tranquillement. Disposant encore de quelques réserves, je saute dans leurs roues, ce que Rodolphe, un peu surpris, ne parvient pas à faire, il lui a manqué 5m qu’il n’a pas réussi à combler. En nous relayant, nous avalons les km à plus de 40km/h alors que nous avons le vent de face. Finalement, épuisé, je me relève et attend Rodolphe. Nous continuons à descendre à bonne allure avant de nous relever vers la Maison du Roy.

Nous savourons la traversée des gorges du Guil qui nous ramènent vers Guillestre. A l’entrée de la ville, nous rattrapons les véloces avec qui j’ai roulé quelques km. Un petit geste sympa et un grand sourire alors que nous les saluons en passant. Nous voilà revenu à l’Auberge de Jeunesse. Fatigué mais heureux d’avoir gravi le col Agnel.